Honte qui me hante, m’enrage et m’engage
Elle serre la poitrine, embrume l’esprit, nous ferme les yeux, rétrécit le monde (des possibles), et parfois elle nous abandonne là, seuls face à un passé qui continue de murmurer, et nous restons impuissants et démunis devant elle. Elle, c’est la Honte. Souvent tapie dans l’ombre, la Honte se glisse dans les plis et le replis de nos histoires. Elle se mêle à nos gestes, à nos silences, à ce que l’on dit et surtout à ce que l’on n’ose pas dire. Elle traverse les générations, s’invite dans nos familles, dans nos corps, dans nos décisions, dans nos métiers.
Et puis, un jour, courage d’oser la dévoiler au grand jour, un récit peut venir noircir quelques pages blanches, et fissurer le mur du non-dit. Des mots qui ouvrent un espace de vérité brute, un espace où la honte devient visible, presque palpable. Un espace où l’on peut enfin la regarder en face. Ci-dessous : une entrée à vif dans ce que la honte nous enlève, mais aussi dans ce qu’elle peut nous rendre.
La honte n’est pas seulement ce qui nous enferme. Elle peut devenir ce qui nous met en mouvement. Ce qui, de l’intérieur, nous oblige à nous redresser. Ce qui nous arrache à la soumission, à l’inertie, aux récits hérités. Ce billet explore une traversée « hypnotique », faite de questionnements et de reflexions, et proposée par notre formatrice Vinciane Hubrecht: de la honte qui hante à la honte qui engage. De celle qui fige à celle qui ouvre.
Dire l’indicible: quand les mots, baignés dans l’encre, fissurent le silence
« Mon père a voulu tuer ma mère un dimanche de juin, au début de l’après-midi ». (…) « J’écris cette scène pour la première fois. Jusqu’à aujourd’hui il me pensait impossible de le faire, même dans un journal intime. Comme une action interdite devant entraîner un châtiment ».
C’était le 15 juin 1952. Annie Ernaux l’écrira pour la première fois en 1996. Terré.e, atter.ée, sidéré.e, à terre, à l’étroit; la honte m’enserre. Honte-tristesse qui me fait honte, qui entache qui je suis. Honte de ce que j’ai vécu, honte de l’autre pour ce qu’il m’a fait vivre. Honte qui me fige au sol. Fixé.e au sol par le regard que je porte sur moi, figé.e par le regard de l’autre qui me brûle et me consume.
Ces questions qui traversent une vie, et que la Honte laisse derrière elle
Comment je trimballe ce qu’on a fait de moi dans le reste de mon existence ? Où et comment trouver ma juste place ? Suis-je voué.e à l’échec pour ce que j’ai vécu et auquel j’ai survécu ? Faut-il s’en débarrasser ? S’émanciper ? Fuir ? Lutter ? Faire avec ?
La honte-tristesse peut aussi devenir une honte-colère. Honte qui me fait honte, qui « la fait changer de camp ». Une honte qui me donne la capacité de m’indigner: je ne peux pas rester indifférent.e, elle me fait bouillir, elle m’enrage, elle me fait bouger. Ni victime, ni soumis.e, ni bourreau.
Au sein de ma famille, dans mon travail, dans mes relations et interactions sociales, dans la société civile – quelle que soit ma place – si la honte pouvait s’aborder comme une acte de désobéissance ? Saborder l’ordre établi par celui ou celle qui nous a fait honte, par un système qui y a consenti. Vivre l’échec, demander de l’aide, être différent.e, se sentir largué.e dans la vie, oser ne pas oser; vivre tous ces événements de vie avec crainte et confiance à la fois.
Sans honte.
Leader, accompagnateur.trice social.e, enseignant.e, parents comment puis-je sortir de la contrainte à reproduire le système; ses inégalités, ses discriminations, ses stigmatisations ? Comment désobéir à l’ordre établi que nous assigne à la honte dans une société qui peine à nous laisser en sortir ? Comment puis-je faire du Je au Nous, sans honte, dans un élan révolutionnaire ?
Dans nos métiers, elle circule aussi, cette Honte
Plus qu’une émotion individuelle, LA HONTE traverse nos métiers, nos interactions quotidiennes, nos rôles (qu’il s’agisse d’accompagnateur·rice, d’enseignant·e, de responsable d’équipe, de travailleur·euse social·e). Elle se glisse dans les silences professionnels, dans le regard posé ou détourné, dans les non-dits que nous portons pour “faire notre métier”. Parfois, nous la voyons chez l’autre ; parfois, nous la ressentons au fond de nous, comme une tension qui freine, inhibe, et souvent isole.
Accompagner la honte, plutôt que de la subir (et faire subir)
Et si, plutôt que de la subir, nous commencions à la dévoiler, à la comprendre, à la transformer ? Si, dans notre posture professionnelle, nous faisions de la honte non plus un empêchement, mais un levier ? C’est tout l’enjeu de la formation que nous proposons : « Accompagner la honte : la dévoiler, la dépasser et la transformer »
Parce que dans nos métiers, dans notre engagement, la honte n’a pas à rester invisible. Elle peut devenir une voie vers la dignité retrouvée, vers la coopération libre, vers un collectif qui libère plutôt que qui enferme.



















