Un livre inquiétant, et éclairant. Dans son dernier livre, Le réveil, Laurent Gounelle nous conte l’histoire de Tom, un jeune ingénieur français vivant à Paris. Une personne lambda qui se trouve dans la tourmente de la décision de son gouvernement qui souhaite éradiquer la mort – et plus exactement “mener la guerre contre la mort”. Déboussolé, ne sachant quoi penser de ce qui arrive, Tom échange avec l’un de ses amis, philosophe et sociologue, Christos. Qui lui révèle quelques techniques de manipulation, d’influence… Le but de Christos: réveiller Tom. Réveiller son esprit critique, le sortir de sa torpeur, de sa somnolence, de sa soumission à l’autorité.

Tom est un jeune ingénieur français vivant dans un petit appartement à Paris. Une vie banale. Qui va être bouleversée par une série de mesures que va imposer son gouvernement. La vision à long-terme du pouvoir en place: éradiquer la mort. Son premier objectif: mener une guerre contre les accidents automobiles. 

Mesure de confinement des automobiles, interdiction de sortir sa voiture sans un motif valable, obligation de remplir un papier pour chaque déplacement, devoir porter une minerve au volant ; toute une série de mesures “de précaution” avant que la solution soit technologiquement possible et disponible: que toutes les voitures manuelles soient remplacées par des voitures autonomes – considérées comme plus fiables, moins enclines à rêvasser, à perdre l’attention, à penser à autre chose qu’à conduire.

« Ne prenez pas vos présomptions pour des faits acquis. Commencez par adopter une position critique envers toute idée. Forcez-la à se justifier. Soyez prêts à poser des questions sur tout ce qui est considéré comme un fait acquis. Essayez de penser par vous-même. Il y a beaucoup d’information en circulation. Vous devez apprendre à juger, à évaluer et à comparer les choses » Noam Chomsky, La fabrique du consentement, 1988

Afin de lutter contre la surmortalité lors d’accidents automobiles, des règlements « contraignants et liberticides » sont donc adoptées par le pouvoir exécutif français. Tom les accepte, sans sourciller ni trop réfléchir. Tom se soumet à chaque obligation, qu’il considère comme éclairée puisque prise par l’autorité qui dirige le pays. Et échange souvent avec un ami, Christos, installé en Grèce. Qui tente d’éveiller à distance la conscience de Tom, sur les stratégies de manipulation par la peur mises en place par son gouvernement.

Quand on s’y prend bien, en jouant sur les émotions, on peut faire croire aux gens n’importe quoi, y compris des horreurs, même aux plus intelligents et cultivés d’entre eux – extrait du livre Le Réveil

Tic tac, tic tac, le compte à rebours est lancé ! De grandes entreprises s’acharnent alors à trouver la solution ; et finalement une voiture autonome sort des usines, et obtient la validation de mise sur le marché des autorités compétentes, en France. 

Hourra ! Tout le monde est “sauvé” ! La voiture est produite en série et les diverses obligations sont levées. Du moins pour un temps. Du moins avant la découverte d’un premier grain de sable dans les rouages de cette rutilante mécanique technologique. Du moins avant qu’une nouvelle guerre soit annoncée. Un nouvel ennemi qui cherche subrepticement la mort chez les êtres humains: le sucre.

Au final, doit-on avoir peur de la mort ? Doit-on s’en inquiéter ? La mort ne fait-elle pas partie de la vie ?

  • Tu disais que faire la guerre à la mort revenait à sacrifier la vie
  • J’ai dit ça, moi ? fit Christos en ricanant. Je devais avoir un peu trop bu…
  • Oui, oui, tu l’as dit ! Tu peux m’en dire un peu plus ?
  • Eh bien…je crois qu’on ne peut pas bien vivre si on a tout le temps peur de la mort. Tu vois, dans le dernier chapitre des Essais, Montaigne confie vouloir que la mort le trouve plantant ses choux ! Il entendait par là qu’il voulait vivre comme si la mort n’était pas son affaire, comme si elle ne le concernait pas.
  • Mouais…C’est un peu se mettre la tête dans le sable, non ?
  • Oui et non. Lucrèce disait que la mort n’est rien pour nous dans la mesure où quand on est vivant, on est vivant, et quand on est mort, on n’est plus là pour regretter la vie. Donc, en fait, ça ne sert à rien de s’en faire, tu vois ?
  • Oui, c’est juste. Mais ça n’empêche pas qu’on ait envie que ça dure le plus longtemps possible, non ? Donc, qu’on ait peur que ça s’arrête !
  • Certes. mais tout dépend de ta croyance dans ce qu’il y a ou pas après. Moi, j’ai plutôt une vision platonicienne: je crois que la mort n’est rien d’autre que la séparation de l’âme et du corps. Pour moi, il n’y a que le corps qui meurt, et donc la vie ne s’arrête pas à la mort. Platon disait que le corps n’est que le tombeau de l’âme.
  • Mouais. Mais pour moi ce n ‘est pas facile d’y croire.
  • Dans ce cas, adopte l’art de vivre épicurien: profite de la vie tant que tu es vivant en savourant chaque instant à sa juste valeur. Dans sa Lettre à Ménécée, Epicure dit que “Le sage ne craint pas la mort. De même que c’est pas l’abondance des mets mais leur qualité qui nous plaît, de même que ce n’est pas la longueur de la vie mais son charme qui nous plait”

De l’importance de la nuance

Préférez-vous vous balader dans une ville haute en couleur ou flâner dans une ville en noir et blanc ? Un monde sans couleur, fade, simple, sans nuances. La nuance est belle, captivante, étonnante et source de réflexion et de changement.

Comme l’écrit le poète Christian Bobin: « On ne peut bien voir qu’à condition de ne pas chercher son intérêt dans ce qu’on voit« . Et si ne pas chercher son intérêt dans ce que l’on voit était de voir dans la nuance ?

C’est vrai: il est sans doute plus confortable de se baigner dans les eaux de la certitude que de nager dans un océan de doute et d’incertitude. C’est aussi vrai que « le langage peut corrompre la pensée, » comme le scandait l’écrivain George Orwell. En effet, un langage sans nuance, simple, sans ombres, sans ambiguïtés non seulement limite la communication mais encourage la paresse intellectuelle.

Pour Etienne Klein: « Voir dans la nuance nous apprend à être ouvert d’esprit, curieux. Voir dans la nuance nous permet de prendre du recul sur nos certitudes, et parfois les ébranler (et parfois les enraciner). Parler dans la nuance nous permet d’avoir un dialogue plus authentique. Certaines personnes parlent beaucoup avec des slogans. Mais clamer un slogan et réfléchir sont deux choses différentes.« 

« La vérité est une terre sans sentiers. C’est en cheminant qu’on trouve. Personne ne va te dire: Regarde, le sentier qui mène vers la vérité, c’est celui-là. Ce ne serait pas la vérité,” Tiziano Terzani, « Le Grand Voyage de la vie ».

La vérité n’est pas simple, elle est toute en nuance. Rien n’est permanent, tout bouge, tout change, tout se transforme. La vérité d’un jour peut ne pas être la vérité du lendemain. Selon les découvertes, les innovations, la vérité peut naviguer d’une conception à une autre, ou même trouver sa réponse dans une troisième vague – une opinion majoritaire peut devenir minoritaire. Un choix binaire peut renfermer un choix tertiaire.

Du pouvoir du petit nombre: patience et organisation

A ma petite échelle, que puis-je faire ? Qu’apporte ma voix ? Mes actions ? Mes choix ? Je n’y peux rien, c’est comme cela ! Quand l’inquiétude et l’impuissance s’invitent dans le lexique interrogatif des gens, la résignation n’est pas loin. La résignation ne soigne pas, elle ne fait qu’alléger “tous les maux sans remède” (Horace). Et la réponse est oui: chacun d’entre nous, à son échelle, peut faire avancer et changer les choses.

Connaissez-vous la règle des 3,5% ? « Les chercheurs avaient l’habitude de dire qu’aucun gouvernement ne pourrait survivre si 5 % de sa population se mobilisait contre elle. Mais nos données révèlent que le seuil est probablement inférieur. En fait, aucune campagne n’a échoué une fois la participation active et soutenue de seulement 3,5 % de la population – et beaucoup d’entre eux ont réussi avec beaucoup moins que cela. Bien sûr, 3,5% de la population demande une mobilisation qui reste importante, » Erica Chenoweth. Une telle mobilisation, certes, nécessite  des efforts considérables en termes de communication et de compréhension des enjeux.

Hier, j’étais intelligent et je voulais changer le monde. Aujourd’hui, je suis sage et je me change moi-même, Rumi

Connaissez-vous le trilemme de Rodrick – « qui démontre qu’il est impossible pour une nation d’être en même temps souveraine, mondialisée et démocratique » ? Connaissez-vous la charte de Biderman – du nom d’un sociologue américain qui avait répertorié, analysé les outils et procédés utilisés pour affaiblir psychologiquement les prisonniers de guerre américains aux mains des communistes chinois pendant la guerre de Corée et ce afin d’obtenir d’eux qu’ils se soumettent à leurs geôliers ? Connaissez-vous les écrits de Noam Chomsky, linguiste d’origine américaine ?, etc. Le réveil de Laurent Gounelle nous livre pléthore d’outils de manipulation, de techniques d’influence. Qu’il est intéressant de découvrir.

C’est un livre inhabituel que nous partage Laurent Gounelle. « J’ai longuement réfléchi avant d’écrire ce roman. Pourquoi ? Parce que j’ai depuis longtemps adopté le précepte de Lao-tseu, Mieux vaut allumer une bougie que maudire les ténèbres, et c’est ce à quoi je m’attelle depuis des années, dans chacun de mes livres. Dès lors, écrire une histoire qui dénonce quelque chose et braque le projecteur sur le mal ne me ressemble pas. »

« Mais je pense qu’on est parfois dans la vie confronté à des situations exceptionnelles qui méritent une action inhabituelle (…) J’ai donc choisi d’écrire ce livre car je crois que, dans le contexte qui est le nôtre actuellement, chacun est en droit de connaître les techniques de manipulation des masses. Ainsi, chacun peut les reconnaître quand elles sont à l’œuvre, afin de les déjouer et ainsi pouvoir conserver sa liberté. » Sa liberté de choix intérieur…

Charte de Biderman, des extraits tirés du livre de Laurent Gounelle

Isolement,

  • Prive la victime de tout soutien social dans sa capacité à résister
  • Développe chez la victime une préoccupation intense d’elle-même
  • Rend la victime dépendante de l’autorité

Variantes: confinement solitaire total ; isolement complet, semi-isolement, isolement de groupe

Monopolisation de la perception,

  • Fixe l’attention sur la situation difficile immédiate
  • Pousse à l’introspection
  • Elimine les informations divergentes de celles contrôlées par l’autorité
  • Empêche toute action non conforme à le norme dictée

Menaces, 

  • Cultivent l’anxiété et le désespoir

Variantes: menaces vagues, mystérieux changements de traitement

Démonstration de puissance, 

  • Suggèrent la futilité de la résistance

Variantes: confrontations, prétendre que la coopération va de soi, démontrer un contrôle totale du sort de la victime

Faire respecter des exigences dénuées de sens, 

  • Développe l’habitude d’obéir

Variantes: écriture forcée, impératifs de minutage

Caricaturer la position des résistants,

  • Il s’agit de tourner en dérision la position des résistants afin de les décrédibiliser. Empêcher le peuple d’écouter les propos en rendant ceux-ci totalement ridicules à ses yeux

Instaurer des clivages, 

  • Diviser la population en flattant les consentants qui acceptent de suivre les consignes et en désignant les résistants comme responsables de la situation
  • Imputer aux résistants la responsabilité de la perte de liberté des consentants
  • Induire de la colère chez les consentants pour pousser la population à rejeter les résistants

Conjuguer flatterie et culpabilité,

  • Flatter les gens sur leur intelligence, puis leur faire croire qu’ils sont responsables de leurs problèmes et qu’il serait malvenu de ne pas mettre en oeuvre la solution proposée

Etiqueter les résistants, 

  • Etiqueter les résistants en assimilant leurs réflexions à celles d’une mouvance honteuse. Exemple: complotisme

> Effets: Décrédibilise le résistant aux yeux de la population / Induit en lui un sentiment de honte qui l’empêche de poursuivre son argumentation / Brouille l’écoute de la population en détournant son attention des arguments avancés / Evite de devoir répondre sur le fond aux objections soulevées . Empêche tout débat démocratique sur la question . Tue dans l’oeuf tout début de contestation

Le Réveil, Laurent Gounelle, Calmann Levy, mars 2022, 192 pages