Nous pensons mieux connaître le Monde que nous ne le connaissons en réalité. Nous pensons mieux maîtriser un nouveau sujet que nous ne le maîtrisons en réalité. L’apprentissage est un processus complexe qui demande du temps, avec ses hauts et ses bas, ses moments de doute, de confusion et d’eurêka, ses pics de confiance et ses vestiges du désespoir. Accrochez vous, le savoir est une question de temps, de persévérance et de confiance en soi. Le docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien Albert Moukheiber nous explique tout !

Lors d’un nouvel apprentissage peut-être avez-vous expérimenté l’illusion de simplicité, et que vous vous êtes dit: “Cette nouvelle matière, ce nouveau domaine, ce nouveau logiciel ne sont pas si complexes. Ça coule de source. C’est évident. C’est intuitif.” Un pic de confiance qui se transforme, au fil du temps et de votre découverte de votre nouveau sujet, en un pic de désespoir. Patatra, tout s’écroule. Plus je sais, moins je sais. Plus j’apprends, plus je me rends compte de mon ignorance. Plus j’avance, moins c’est simple et plus je m’embrouille. Rassurez-vous, c’est un fonctionnement banal que nous explique le docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien Albert Moukheiber.

Pic de confiance et vestige du désespoir: les “pièges” du processus d’apprentissage

Tout apprentissage commence souvent par un pic de confiance injustifié en sa connaissance du sujet, développe Albert Moukheiber dans son ouvrage “Votre cerveau vous joue des tours”, avant de renchérir: “Lorsque nous commençons à apprendre à jouer d’un instrument de musique, nous pensons souvent que ce n’est pas si compliqué. Au piano, nous pouvons aisément jouer Au clair de la lune après quelques minutes. Mais si nous persévérons dans l’apprentissage de cet instrument, nous allons vite comprendre que la progression ne sera pas aussi rapide: il nous faudra des mois, voire des années pour maîtriser les sonates de Beethoven. Nous allons traverser une phase de perte de confiance et de démotivations. Nous penserons même parfois que nous n’y parviendrons jamais: il faudra alors dépasser ce stade de plateau en travaillant dur.”

Cette relation entre confiance en soi et apprentissage a été démontrée, au moyen d’une série d’expériences, par les psychologues Dunning et Kruger. L’origine de leur théorie découle d’un incroyable fait divers qui remonte au 6 janvier 1995, à Pittsburgh en Pennsylvanie. Une idée de génie traverse l’esprit de McArthur Wheeler qui décide de l’utiliser afin de dévaliser deux banques. Son plan est simple: il deviendra invisible devant les « yeux électroniques » des caméras. Toutefois, au mois d’avril de la même année, il est arrêté ; confondu par les caméras de surveillance. Comment est-ce possible ? Comment son infaillible et machiavélique stratagème a-t-il pu être battu en brèche ? Wheeler tombe des nues: « Mais j’avais mis du jus de citron !«  En effet, McArthur s’était rendu sur le lieu du crime le visage découvert, mais la tête enduite de jus de citron – persuadé que, comme pour l’encre invisible, le citron le rendrait indétectable sur les bandes des vidéos de surveillance. Wheeler a payé le prix de son illusion de connaissance, et a permis à Dunning et Kruger de se pencher sur cette histoire: comment Wheeler avait pu en arriver là ! En résultera la découverte de l’effet Dunning-Kruger, ou effet de surconfiance, que vous pouvez apprécier sur le schéma ci-dessous:

dunning kuger emancipe

Quelles sont les conséquences de ce pic de confiance ?

Conséquence numéro 1: ceux qui dirigent ne sont pas forcément les plus compétents. Aux personnes qui s’arrêtent au sommet de leur pic de confiance, l’effet Dunning-Kruger leur confère un véritable (et préjudiciable) sentiment de surpuissance. C’est ainsi que des quidams, médiocres, vont ainsi oser briguer des postes pour lesquels ils ne sont pas qualifiés, et les décrocher. Comment font-ils ? La recette est simple: un peu de savoir, une faible (superficielle) connaissance et une bonne dose de confiance en eux afin d’éblouir les recruteurs. “A l’inverse, des personnes sur-compétentes sous-estiment leurs capacités et craignent en permanence de ne pas être à la hauteur. Ce syndrome dit de l’imposteur est le pendant négatif de l’effet Dunning-Kruger. Il conduit les personnes qui en sont victimes à accepter des postes inférieurs à ceux qu’elles méritent.”

Si vous combinez ces deux effets vous obtiendrez le principe de Peter, une loi empirique qui dispose que tout employé gravitera les échelons jusqu’à atteindre la fonction qu’il n’aura pas les compétences d’accomplir ( « Tout employé tend à s’élever à son niveau d’incompétence maximal » avec le corollaire que: « Avec le temps, tout poste sera occupé par un incompétent incapable d’en assumer la responsabilité. », Laurence J. Peter et Raymond Hull, The Peter Principle: why things always go wrong , 1969)

Conséquence numéro 2: Nous confondons savoir (superficiel) et connaissance (profonde). Comme l’énonce le physicien théoricien Stephen Hawking: “Le plus grand ennemi de la connaissance n’est pas l’ignorance mais plutôt l’illusion de la connaissance. Et comme l’explique Albert: “Nous sommes tous sujets à des pics de confiance. C’est ce qui fait que nous sommes parfois enclins, quand nous ne redescendons pas de ce pic, à prendre pour vérité définitive des idées simplistes et fausses.” En un simple clic, en une simple lecture nous accédons à un savoir, et nous pensons accéder à la connaissance.

Ce qui est un piège que résume brillamment le poète Alexander Pope: “Un peu de savoir est une chose dangereuse. Les petites gorgées intoxiquent le cerveau. Et ce n’est qu’en s’y abreuvant à flot, qu’on retrouve notre sobriété.”

Si vous voulez accéder au savoir, vous pouvez donc le faire tout de suite par le biais de votre ordinateur ou de votre smartphone. “De nos jours, on veut nous faire croire que tout le monde peut tout comprendre très vite. Sur YouTube, des vidéos promettent de tout nous apprendre sur n’importe quel sujet complexe en quelques minutes chrono. Des blogs “d’experts” sur tous les sujets possibles et inimaginables surgissent chaque jour et rencontrent parfois beaucoup de succès. En donnant la parole mais aussi de l’audience à n’importe qui, Internet a été le meilleur support pour l’émergence de faux experts et de vrais charlatans. Cette profusion d’informations nous conduit parfois à faire des choix nous donnant l’illusion de connaître les tenants et aboutissants d’une question.” Ce qui est faux. Nous n’accédons qu’à une partie, superficielle.

Par ailleurs, avertit Albert Moukheiber, “beaucoup de sujets complexes peuvent être réduits volontairement à une fausse simplicité: cette démarche s’inscrit dans un mouvement qui se nomme en anglais pseudo-profound bullshit ou conneries pseudo-profondes. Le philosophe Harry Frankfurt définit le bullshit comme quelque chose qui est construit dans le but d’impressionner sans se soucier du vrai.

En conclusion: libérez-vous de votre illusion

L’illusion de savoir est encore plus néfaste que le fait de ne pas savoir.Alors que chacun de nous est soumis à un flot continu d’informations, » écrit Albert Moukheiber, « le défi est moins de lutter contre l’ignorance que contre l’illusion de connaissance. Il est plus facile d’apprendre des choses à une personne qui sait qu’elle ne sait rien, qu’à celle qui croit savoir alors qu’elle ne sait pas.” En conclusion: la connaissance de notre illusion nous ouvre à la vérité, nous retire nos œillères. Tout n’est pas forcément complexe, mais tout n’est pas toujours simple: dosez votre doute et ayez l’esprit critique 😉

Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes, qui l’une et l’autre nous dispensent de réfléchir, Henri Pointcaré

Source: « Votre cerveau vous joue des tours« , Albert Moukheiber, Allary Editions, avril 2019