Compétitivité, rivalité et hostilité: la triade bien connue de nos sociétés. Mais au fond, qu’essayons-nous d’atteindre au quotidien par la compétition ? Se comparer aux autres et être le premier: dès notre plus jeune âge nous sommes entraînés dans une incessante rivalité avec les autres qui nous laisse suggérer que si nous ne sommes pas au-dessus de la mêlée, alors nous ratons notre vie. Nous désirons, nous jalousons et nous n’admirons plus. Et si en lieu et place de la compétition nous prônions l’émulation ?

« L’idée selon laquelle, dans chaque secteur, dans chaque discipline, il faut qu’il y ait un premier, un deuxième et un troisième est une aberration, » expliquait Albert Jacquard, dans une interview accordée au magazine L’Express. Et de renchérir: « La compétition, c’est la volonté d’être meilleur qu’autrui, de le dépasser. Quitte à tout faire pour le détruire. Dans le domaine du sport, la compétition engendre le dopage, les pots-de-vin. Elle transforme des êtres humains en une nouvelle espèce, intermédiaire entre les humains et les monstres. Dans le domaine économique, elle génère les escroqueries, les actions malveillantes ou agressives entre sociétés concurrentes… Je suis absolument contre la compétition. En revanche, je suis absolument pour l’émulation. »

Compétition et émulation: une réelle différence ?

Quelle est la différence entre émulation et compétition ? La compétition n’entraîne-t-elle pas l’émulation ? Emulation n’est-il pas un euphémisme dont l’acception est, en réalité, compétition ?

chantal jacquet

Pour la philosophe Chantal Jaquet, la réponse est simple, et non. « L’émulation implique un “concours” au double sens du terme: on se mesure à l’autre et on se prête main-forte,explique-t-elle dans un débat avec le sociologue Gérald Bronner retranscrit dans le numéro 168 (édition avril 2023) du Philosophie Magazine. Et de rajouter: La compétition repose au contraire sur le chacun pour soi, l’opposition de l’élu et de l’exclu. » En résumé:

  • « Le modèle compétitif conduit à la rivalité afin d’écraser l’adversaire.« 
  • « Le modèle fondé sur l’émulation vise moins le dépassement des autres que le dépassement de soi. Il repose sur la stimulation réciproque pour augmenter la puissance d’agir de chacun. »

Ainsi, conclu la philosophe: « Si l’on veut fonder une démocratie, il faut sortir des podiums et s’efforcer de rendre justice à chacun. L’objectif n’est pas tant d’encourager les individus à être méritants ou à se distinguer au détriment des autres, parce qu’une société où l’on vit sans arrêt de compétition produit du ressentiment. L’essentiel est de faire en sorte que chacun puisse aller au maximum de ce qu’il peut et exprimer sa puissance d’agir au mieux, afin de se sentir reconnu. »

Quid de l’émulation dans le complexe et compétitive monde du marché ?

albert jacquard

Et au niveau entrepreneurial / économique, qu’en-est-il de la compétition ? Difficile, en l’état actuel, de penser le marché sans penser compétition. Pour Albert Jacquard: « Un chef d’entreprise qui adopte cette démarche va observer ce que font ses pairs, en éprouvant vis-à-vis de ceux qui ont de meilleures pratiques, non pas de la jalousie, mais de l’admiration. » Admirer au sens de valoriser, respecter et estimer la concurrence. Admirer afin de vouloir faire autant sinon plus, afin de se sentir pousser des ailes. « Admirer, ce n’est pas vénérer, » ce n’est pas idolâtrer, rester béatement devant un, semble-t-il, impossible, « ce n’est pas s’oublier dans la contemplation du talent de l’autre. C’est se nourrir, » nous alerte ainsi le philosophe Charles Pépin

Et à Albert Jacquard de préciser: « Le chef d’entreprise va essayer de s’approprier ces pratiques pour progresser lui-même, faire progresser son entreprise et ses salariés. Je dirais aux patrons: « Jouez le jeu, mais ne comptez pas les points. Votre mission, c’est de donner du travail à vos collaborateurs. Pas de détruire vos concurrents, et donc l’emploi ailleurs. »

Que pensez-vous de ces acceptions des concepts de « compétition » et « d’émulation » ? Avez-vous d’autres définitions des notions de compétition et d’émulation ? Selon vous, l’émulation est-elle une vaine utopie, ou un des champs des possibles ? Peut-on se dépasser soi sans écraser les autres ?

N’apprenons rien et le prochain monde sera identique, avec les mêmes poids morts à soulever, les mêmes interdits à combattre…, Richard Bach, écrivain

Sources: