Vivre, c’est aussi perdre des êtres chers. Tôt et tard, nous sommes tous confrontés au décès d’un proche, avec tous les coups et les contrecoups que cela entraîne dans notre existence. Et « vivre longtemps, c’est être sûr de vivre de nombreux deuils, de voir partir beaucoup de proches, de connaissances, de célébrités, » comme le dit Christophe André (psychiatre et écrivain). Comment accueillir le deuil ? Comment s’accompagner et accompagner quelqu’un dans cette traversée ? Même si chaque deuil est unique, en connaître les différentes étapes peut aider à l’affronter…

De la douleur d’une perte à la douceur d’une rencontre

Le mot deuil vient du latin dolium (« douleur / souffrir »), par l’ancien français duel (« douleur », « affliction que l’on éprouve de la mort de quelqu’un ; perte »)

Perdre quelqu’un que l’on aime, que l’on apprécie, est épouvantable. C’est un monde qui s’écroule. Dans nos têtes, une voix peut résonner: « Comme c’est atroce qu’il ou elle ne soit plus présente à mes côtés. » Et puis, en semaines, en mois ou plus, un travail sur le deuil peut modifier le contenu de cette petite voix: « Comme c’est bien que l’on se soit rencontrée et aimée. » « Ce qui reste est alors moins la souffrance de la séparation que la douceur de la rencontre. » (André Comte-Sponville)

Une rencontre qui peut perdurer. « Tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis. » (Victor Hugo) Ou comme le dit joliment le poète Christian Bobin: « Mon père, mort il y a maintenant 13 ans, n’arrête pas de grandir, de prendre de plus en plus de place dans ma vie. Cette croissance des gens après leur mort est très étrange. » Sentir et ressentir à nos côtés les personnes disparues et nous dire qu’elles sont toujours là, à nous aider, à nous aimer, à nous guider, est réconfortant. Même si nous savons que nous nous narrons, sans doute, des histoires ; si ces histoires nous font du bien et qu’elles restent notre décision: est-ce inquiétant ou préoccupant ? Peut-être pas… »

Le deuil est un long chemin de retour à la vie

Y-a-t-il une vie après une mort ?

Aussi, y-a-t-il une vie après une mort ? Et si, comme Jean Cocteau le clamais: « Le vrai tombeau des morts, c’est le coeur des vivants ? Dans le livre « Une question de mort et de vie« , Marylin (écrivaine) et Irvin Yalom (psychiatre et écrivain), chapitre après chapitre, se partagent la plume afin de raconter dans un ouvrage collectif une fin, et un début. La fin: c’est la mort annoncée de Marylin atteinte d’un cancer. Le début: c’est la vie d’Irvin après la mort de sa compagne, avec qui il partage sa vie depuis plus de 70 ans. Y-a-t-il une vie après la mort ? Oui, dans les souvenirs de nos amis, de nos collègues, de nos proches, etc. Nous sommes tous des gardiens des souvenirs du passé. Et au fil des années qui passent les âmes se meurent, et bientôt les gardiens des souvenirs de notre passé se font de plus en plus rares. Ceux qui restent ont la lourde tâche de se rappeler une vérité. Une vérité qui, comme les murs d’une vieille maison, s’effritent. Des pans entiers qui, parfois, s’écroulent.

Un souvenir c’est comme un miroir qui serait tombé au sol et qui se serait brisé en petits morceaux. Chacun détenant une partie de la vérité, du souvenir de ce qui fût. Chacun devenant un gardien du passé.

Ce qui me terrifie le plus dans la mort, ce n’est pas la perte de l’avenir ; c’est la perte du passé. En réalité, l’oubli est une forme de mort toujours présente à l’intérieur de la vie, Milos Kundera.

Accueillir toutes les émotions

Comme l’écrit le docteur Christophe Fauré dans « Vivre le deuil au jour le jour« : « Quoi qu’on fasse, quoi qu’on dise, quoi qu’on pense, il n’y a aucun moyen d’éviter la douleur de la perte. On peut, pour un temps, essayer de la nier, de la minimiser, de la contourner, cela ne changera strictement rien au fait qu’elle est omniprésente et que le seul et unique moyen de s’en libérer est de s’y confronter. Et pourtant, personne n’a envie de souffrir. L’expérience quotidienne met en évidence l’imparable constat que la douleur de la perte doit être traversée si on veut un jour l’apaiser. Il n’y a pas d’issue, pas d’échappatoire possible. » Et de rajouter: « Si on l’esquive aujourd’hui, on devra, de toute façon la retrouver plus tard, sous une forme plus ou moins déguisée et qui provoquera bien plus de dégâts psychiques qu’une confrontation directe, dans l’instant présent. La seule voie vers l’apaisement est l’entrée consciente et de plain-pied dans le travail de deuil. » S’il n’est pas vécu, le deuil nous hante, nous ronge.

Aussi, ce qui ne s’exprime pas, s’imprime. Il est nécessaire d’accepter toutes ses émotions. De les vivre pour les traverser. De les verbaliser. S’il est naturel de ressentir de la peine, la souffrance est un choix.

Ecrire une consolation: un souvenir figé dans le papier

Comme l’écrit Christophe André: « On nommait autrefois consolation un ouvrage rédigé à l’occasion de la mort de quelqu’un, et à l’intention de ses proches. Le but en était double : témoigner de son affection et réconforter, mais aussi parler de la vie et de la mort, au-delà de la personne disparue. Les consolations les plus célèbres sont celle de Sénèque, et les écoliers apprenaient autrefois le poème de Malherbe, Consolation à Monsieur du Perrier sur la mort de sa fille. »

Nous souffrons plus souvent dans l’imagination que dans la réalité, Sénèque.

Quelques étapes du deuil

Experte du processus de deuil, la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross a écrit des ouvrages sur les différentes étapes par lesquelles nous passons. A noter que son approche du processus de deuil s’applique également aux situations professionnelles et sociétales, et à la résistance au changement plus généralement

1 – Le choc et la sidération

C’est une phase de déstabilisation intense (consciente ou non). Si ce moment n’est pas perçu, le processus ne peut s’engager et devient une période d’attente souvent stressante

2 – Le déni

Ce n’est pas vrai, pas possible. Cela va redevenir comme avant.

Sans les encourager, il est nécessaire d’accueillir toutes les réactions, de les respecter, y compris le déni.

3 – La colère (et marchandage)

Révolte, rage, rancœur, sentiment d’injustice, régression, transfert de la responsabilité. Toutes ces émotions sont liées à l’impuissance.

4 – La peur

Que ce soit la peur pour soi ou la peur pour les autres, une peur ponctuelle ou une angoisse globale, une peur de l’inconnu, une peur face à la situation présente et future, stress anxiété.

5 – La tristesse

C’est le début de l’acceptation. C’est la prise de conscience de ce qui a été perdu et du caractère définitif de la perte. Sentiments de regrets et de nostalgie

6 – Acceptation

C’est un changement de regard. La personne endeuillée cesse de subir et redevient un sujet en mouvement

L’acceptation et la résilience n’implique pas qu’il faut mettre la douleur derrière soi, mais “avancer” avec. La douleur ne disparait, sans doute, jamais pleinement. Elle s’intègre dans notre parcours de vie, et reste telle une cicatrice. Elle fera toujours partie de nous, mais différemment. Passez de “cette perte est atroce” à “Comme c’est bien que l’on se soit rencontrée et aimée”.

7 – Le pardon

Pardon à soi-même, aux autres, etc. Renonciation à l’illusion de toute puissance

8 – Quête de sens et renouveau

Reconnaître et accepter le deuil permet de faire des choses nouvelles, de devenir un être nouveau. Découverte d’un sens à sa perte pour croître, accueil de toute son histoire. Ouverture à de nouveaux attachements à la vie, à soi-même, à d’autres

9 – La sérénité

Ou la paix est faite avec ce moment de vie, sans excès d’émotions. Vivre dans le nouveau présent, qui a plus de valeur que le passé. Intérêt pour de nouveaux projets qui dessinent un nouveau futur.

De l’accompagnement d’une personne endeuillée…

Accompagner une personne endeuillée c’est simplement, sur un bout de chemin, marcher à ses côtés. C’est lui offrir notre présence, notre écoute, notre silence, notre compassion et notre empathie. C’est accueillir et reconnaître sa souffrance. Et c’est surtout savoir le laisser reprendre, seule, la route qui est la sienne ; en lui souhaitant du bien, du beau et du renouveau.

Une courbe du deuil

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La nuit n’est jamais complète.

Il y a toujours, puisque je le dis,

Puisque je l’affirme,

Au bout du chagrin,

Une fenêtre ouverte,

Une fenêtre éclairée.

Paul Éluard

📖 Sources et inspirations de ce billet de blog: