Un petit dysfonctionnement par ici, un petit retard, un petit couac dans un service, un écart de comportement d’un collaborateur, etc. rien qui ne soit, en tant que telle, préjudiciable. Et on peut entendre, à chaque cas « Tu chipotes, ce n’est pas si grave« . Toutefois, les « ce n’est pas si grave » et les non-dits s’accumulent. L’organisation accepte, s’en accommode, décide parfois de ne pas voir la réalité en face. « Les organisations déclinent car elles s’habituent à la médiocrité, » explique Philippe Silberzahn: c’est une expression du syndrome du canard. Késaco ? Un début de réponse avec le professeur de management Philippe Silberzahn.

Tout d’abord, une organisation est un système complexe, et humain. Ce sont des hommes et des femmes qui travaillent ensemble. Il y a des arrivées, il y a des départs et à chaque remaniement du système tout repart, quasi, de zéro. Jauger le nouvel arrivant, qui va vouloir faire ses preuves (par ses compétences), apprendre à connaître l’humain derrière l’expert, lui expliquer le fonctionnement de l’entreprise, etc. C’est un fait: un « turnover » ou un remaniement trop intense n’est pas un indicateur de bonne santé d’une entreprise. Au contraire, même.

🌀La normalisation des petits dysfonctionnements : abdication, décadence et spirale du déclin

Aussi, comme le remarque Philippe Silberzahn dans son billet de blog intitulé « Le syndrome du canard: comment les organisations en déclin s’habituent à la médiocrité« : « les organisations déclinent: elles s’habituent à la médiocrité (…) un dysfonctionnement manifeste ne trouble plus personne dans l’organisation, ni même parfois chez les clients ou usagers. » On s’en accommode. On s’adapte. On se résigne à prendre de son énergie pour pointer du doigt un dysfonctionnement et s’y confronter. Pourquoi ? Car c’est parfois un travail de titan. Par ailleurs, ceux qui osent exprimer à voix haute « je pense qu’il y a un souci » sont, de temps en temps, mal vus, mal aimés: « Qui sont ces fauteurs de troubles ? »

💬 Des beaux mots aux grands maux: illusion des grands discours visionnaires 

Comme l’explique Philippe Silberzahn: « la réaction de la direction générale consiste rarement à se plonger dans la réalité organisationnelle pour comprendre ce qui se passe. » Et de rajouter: « incapable de saisir la réalité organisationnelle, la direction tend alors à se réfugier dans de grands discours visionnaires et abstraits ou, ces derniers temps, sociétaux, essayant de faire illusion. » Sans doute est-il plus facile et louable de parler de l’avenir, de faire état de grandes ambitions, que de se plonger dans les dysfonctionnements actuels.

Dès lors, que se passe-t-il ? « L’organisation finit par ressembler à un canard sur l’eau: il paraît calme et serein en surface, mais en dessous, il pédale comme un fou. » Il y a le grand et beau discours d’avenir et les collaborateurs qui, en dessous, souffrent, peinent à faire leurs jobs.

Et au professeur de management de rajouter: « Lorsque le déclin commence à se traduire dans les chiffres, la direction générale, qui voit l’organisation comme une machine, tend à recourir à des solutions techniques. On ajoute des structures, on recrute du personnel administratif, on renforce la gestion de projet, on multiplie les contrôles, on réorganise, on nomme un « super manager » de la superstructure, on vire les « saboteurs », etc. Ce faisant, on alourdit l’ensemble, on augmente la consommation d’énergie, et on renforce donc le désengagement. »

🦆 Comment ne pas souffrir du syndrome du canard ?

« La condition pour cesser une spirale de déclin est d’accepter la réalité telle qu’elle est, et de pouvoir en parler ouvertement, même si cela fait mal. » Et il existe des outils et des grilles de lecture qui permettent, simplement et concrètement, de pointer du doigt des dysfonctionnements. Comme le Tableau de Fox, issu de la Théorie des organisations de Berne. Un tableau qui permet de voir, factuellement, ce qui se passe au sein d’une entreprise (apprécier notre billet de blog ici)

C’est un diagnostique, un état des lieux. C’est vrai que ce n’est pas toujours confortable de regarder en face les dysfonctionnements de sa société. Et pourtant, accepter honnêtement cet inconfort permet, sur le long terme, aussi bien de jouer la performance que la survie.

Un état des lieux, au moins une fois par an. Dans la vérité. Sans chercher de coupable. Sans jugement. Juste apprécier le présent: le « comment l’organisation fonctionne aujourd’hui« . Si tout est ok pour les collaborateurs, qu’ils se sentent tous véritablement en adéquation avec le présent, alors il n’y a rien à faire. Mais si tout le monde n’est pas d’accord, alors il devient possible de modifier cet état des lieux.

Source: « Le syndrome du canard: comment les organisations en déclin s’habituent à la médiocrité », Philippe Silberzahn