De l’information à profusion et en continu. Du non-stop. Un incessant flot d’actualités qui nous empêche de nous reposer, qui consomme et consume notre attention, qui alimente notre peur de rater quelque chose, un évènement: aussi dénommé le FOMO, Fear Of Missing Out. Radio, télévision, journaux, magazine, réseaux sociaux, vous sentez-vous essoufflés face au trop-plein d’informations ? Tellement que vous cessez, peu ou prou, de vous informer ? Si la réponse est: oui ; alors vous souffrez peut-être de fatigue informationnelle.

La vérité requiert du temps. Quand une information chasse l’autre, nous n’avons pas de temps pour la vérité, » Byung-Chul Han, philosophe, La fin des choses

De l’importance de l’accès à l’information

L’information – et son accessibilité – nous permet de décrypter notre société, de comprendre notre environnement et de s’y situer, de prendre des décisions plus réfléchies. Aussi, comme l’écrit Caroline Sauvajol-Rialland, l’information est « un réducteur d’incertitude« . Certes, mais n’y-a-t-il pas un seuil ? Un seuil au-delà duquel l’information désinforme plutôt qu’elle n’informe. Un seuil au-delà duquel l’incertitude n’est plus comblée, mais accentuée. Ainsi abreuvés et même submergés de données nous deviendrions alors incapable de pleinement traiter l’information, de l’analyser, de penser…

Infobésité : une surabondance d’informations

En 1997, un article publié dans Le Monde informatique indiquait que « l’humanité a produit au cours des 30 dernières années plus d’informations qu’en 2000 ans d’histoire et ce volume d’informations double tous les 4 ans.«  En 2002, une étude réalisée par l’université de Berkeley conclut que l’information produite au niveau mondial aurait quasiment doublé entre les années 1999 et 2002. Comment s’y retrouver ? Comment ne pas être submergé par ce flot incessant de données, d’informations ? Comment prendre du recul ? Comment ne pas se goinfrer d’informations ? Comment absorber / ingérer / digérer ces flux d’actualités ? Comment ne pas devenir un simple chasseur d’information « sans cervelle », sans esprit d’analyse ? Comment trier les données que l’on nous sert que trop généreusement sur le web ?

« Il est étonnant que l’on puisse déplorer une surabondance d’informations. Et pourtant, l’excès étouffe l’information quand nous sommes soumis au déferlement ininterrompu d’événements sur lesquels on ne peut méditer parce qu’ils sont aussitôt chassés par d’autres évènements. Ainsi, au lieu de voir, de percevoir les contours, les arêtes de ce qu’apportent les phénomènes, nous sommes comme aveuglés par un nuage informationnel,  » Edgar Morin, 1984

Fatigue informationnelle: et si trop d’informations éliminait notre désir de nous informer

Notion qui n’est guère nouvelle, la fatigue (ou surcharge) informationnelle ou infobésité se révèle à la faveur du développement du numérique, et prend une ampleur sans précédent. La fatigue informationnelle, c’est ce sentiment, cette réaction exprimé face au surcroît d’information et qui se traduit par une modification du comportement, c’est-à-dire vers un abandon de s’informer de façon régulière, voire de s’informer tout court.

Afin de mieux appréhender ce phénomène de fatigue informationnelle, d’en mesurer la portée, et d’en saisir les enjeux et les risques, l’Observatoire Société et Consommation (ObSoCo), Arte et la Fondation Jean-Jaurès se sont associés pour mener une vaste enquête en France.

Les conclusions de cette étude sont:

  • « Aujourd’hui, pour s’informer, les français utilisent en moyenne 8,3 canaux différents et 3,2 quotidiennement, » autant de médias qui consomment notre attention et qui ne l’économisent pas.
  • « II ressort que ce ne sont pas moins de 53% des Français qui disent souffrir de fatigue informationnelle, dont 38% – plus d’un tiers donc ! – en souffrent « beaucoup ». À l’inverse, 19% déclarent être « peu » et 28% « pas du tout fatigués ». »
  • « Pas moins de 77% des Français déclarent qu’il leur arrive de limiter ou de cesser de consulter les informations, dont 28% régulièrement.« 

Saturation cognitive: vers l’impossibilité de traiter l’information

Selon le philosophe Byung-Chul Han, un des symptômes de la fatigue informationnelle, c’est « l’engourdissement de la capacité d’analyse« , qui est censé entretenir « notre capacité à faire le tri dans les données » mises à notre disposition et ce afin de distinguer « l’essentiel de l’inessentielle. » Et de rajouter: « A partir d’un certain seuil, l’information n’informe plus, elle déforme. »

Nous n’habitons plus la terre et le ciel, nous habitons Google Earth et le Cloud, déplore Byung-Chul Han, La Fin des choses.

Et aux auteurs de l’étude de guider les différents acteurs:

  • « Pour les médias, l’un des enseignements majeurs est la tentation du retrait. Trop de notifications, trop d’informations, trop de réactivité peut entraîner la perte des lecteurs, des auditeurs et des téléspectateurs.« 
  • « Pour les pouvoirs publics: cette idée selon laquelle la fatigue informationnelle constitue l’un des aspects de la fatigue démocratique généralisée« .
  • « Pour les citoyens, le but de cette étude est aussi de faire œuvre de pédagogie. De permettre à chacune et à chacun d’interroger sa pratique, de la mettre en perspective, d’élaborer une hygiène informationnelle, » et ne pas se goinfrer d’actualités ; restez raisonnable, modéré. Ralentissez, dans ce monde trépidant dans lequel tout à chacun étouffe sous une pile d’infos que notre cerveau, au bord de l’implosion, ne peut traiter.


Sources:

  • L’info, nerf de la guerre, P. Aron et C. Petit, , Le Monde informatique, n° 731, 29 août 1997.
  • L’étude « LES FRANÇAIS ET LA FATIGUE INFORMATIONNELLE. MUTATIONS ET TENSIONS DANS NOTRE RAPPORT À L’INFORMATION »: https://www.jean-jaures.org/publication/les-francais-et-la-fatigue-informationnelle-mutations-et-tensions-dans-notre-rapport-a-linformation/
  • How Much Information ? 2003, P. Lyman et H. R. Varian, , School of Information Management and Systems, université de Californie à Berkeley, 2003.
  • Infobésité, gros risques et vrais remèdes, Caroline Sauvajol-Rialland, , L’Expansion Management Review, vol. 152, n°1, 2014, pp. 110-118.

Le FOMO, Fear Of Missing Out, c’est cette peur de rater quelque chose. Cette angoisse ou anxiété de se déconnecter de la machine de l’information qui continue de tourner 24H/24H et de manquer un évènement.