Lieu de référence, le passé n’est pour autant pas un lieu de résidence. Peut-être avez-vous déjà lu ou entendu cette affirmation. Toutefois, est-elle fondée ? N’est-elle pas réductrice ? Et si notre avenir était également un lieu de référence ? Et si notre avenir pouvait venir éclairer notre passé ? Et si notre avenir pouvait nous aider à changer notre perception du passé ? C’est ce que nous propose le psychiatre Ben Furman, auteur du livre: “Il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse: de l’adversité à la résilience.”

Quoi qu’on en dise, une enfance parfaite n’existe pas. Quoi qu’on en pense, notre passé n’est pas un manuel d’Histoire noirci d’écrits factuels qui sont définitivement gravés dans le marbre ; mais plutôt un livre dont nous sommes le héros et qui change (évolue ?) à chaque lecture. Le psychiatre Ben Furman en est convaincu: « notre passé est une histoire que nous pouvons nous raconter de bien des manières.« 

Et si tout ne commençait pas dès l’enfance

« Au lieu de prétendre que les expériences négatives de l’enfance provoquent plus tard automatiquement des problèmes dans la vie, les statistiques indiquent simplement un risque, » explique Ben Furman. Contre toute attente, ou contre tout préjugé, « les équations linéaires et simplistes

> L’enfant subit des expériences difficiles = l’enfant aura forcément des problèmes dans l’avenir ;
et
> L’adulte à des problèmes = l’adulte a eu évidemment une enfance difficile

semblent moins convaincantes quand on les regarde à la lumière des études sur les enfants confrontés à des expériences négatives. » Même s’il y a des corrélations, il n’y pas de liens de causalité. Même s’il y a indubitablement présence d’une forte empreinte négative, il n’y pas de fatalité.

Notre libre arbitre: se donner des ailes pour voler au-dessus des limitations de notre passé

Nous ne sommes pas otages de nos propres vies. Nous ne sommes pas prisonniers de notre passé, « même si les expériences vécues dans notre enfance ont sans aucun doute un grand retentissement sur nous. » (Ben Furman)

« Le changement est non seulement possible, mais inévitable durant la vie d’adulte, » affirme de son côté le chercheur en psychologie et professeur à l’Université de Pennsylvanie Martin Seligman. « Même si la question: “pourquoi sommes-nous ce que nous sommes demeure un mystère”, celle de “comment changer soi-même” ne l’est pas, » rajoute Ben Furman.

Répéter maintes fois les mêmes erreurs, faire toujours plus de la même chose et être confronté aux mêmes déplaisants résultats, est souvent une invitation à changer ses habitudes et sa vie. « Le reste de la tapisserie n’est pas déterminé par ce qui a été tissé auparavant. La tisseuse elle-même, dotée de connaissances et de liberté, peut changer – si ce n’est le matériel avec lequel elle doit travailler – le motif de ce qui vient ensuite. »

  • Ce que nous pensons couramment : notre passé nous forme et nous construit. Notre passé a une incidence sur comment notre avenir va tourner / se passer. Notre passé trace, peu ou prou, notre avenir.
  • Ce que nous ne pensons pas spontanément : notre avenir peut moduler notre passé. « L’avenir, c’est-à-dire ce que nous pensons qu’il apportera – détermine ce à quoi ressemble notre passé. Quand nous sommes déprimés, les nuages nous paraissent sombres, et notre passé aussi : nous avons du mal à lui trouver quelque chose de bon. Quand bien même nous essayerions, nous sommes incapables de réveiller le moindre souvenir positif de notre passé. Mais quand le monde nous sourit et que l’avenir nous semble rose – peut-être sommes-nous tombés amoureux, que nous avons trouvé un nouveau travail, ou prévu un voyage intéressant – notre passé aussi commence à paraître plus rose (…) et nos épreuves prennent l’apparence de ressources (…) Personne ne détient l’avenir, ce qui nous donne le droit de rêver et de nous imaginer un avenir heureux. Si, dans notre imagination, nous laissons le soleil briller sur notre avenir, ses rayons vont tout autant éclairer notre présent que notre passé. »

L’imagination peut tout aussi bien venir en aide aux adultes ou aux enfants « perturbés à composer avec leurs problèmes. Le regretté psychiatre autrichien Viktor Frankl décrivait dans ses livres comment, alors qu’il était dans un camp de concentration, il tira le plus grand bénéfice de se projeter dans l’avenir. Il rêvait qu’un jour il serait libéré et qu’il écrirait un livre sur ce qu’il avait vécu. En s’appuyant sur ses propres expériences et observations, il a développé une méthode thérapeutique populaire qu’il a appelée logothérapie. Un des arguments de base de cette approche est que notre bien-être dépend davantage de notre vision de l’avenir que de nos souvenirs du passé. »

« Alors que je comparais ma vie à un sablier, j’ai constaté que toute ma vie s’était écoulée dans le vase inférieur. Et il m’est venu à l’esprit de retourner le sablier : ce qui avait été négatif s’est transformé en positif.” Depuis, j’ai pris l’habitude de retourner régulièrement le sablier “et à chaque fois je regarde ma vie s’écouler dans ce sablier sous un autre angle, et en essayant d’être suffisamment rapide pour trouver le but de ma vie dans le cycle de vie.” (un patient anonyme de Ben Furman)

De notre perception du passé: écriture et ré-écriture

« Cette question de savoir: à quel point les circonstances de notre enfance affectent notre vie et notre développement préoccupe l’Homme occidental” depuis des dizaines d’années écrit Ben Furman. “C’est une question qui nous concerne tous parce qu’elle touche au dilemme fondamental de la philosophie: est-ce que les gens jouissent du libre arbitre ou sont-ils victimes de leur condition ? »

Un jour, un groupe d’étudiants rend visite à un Maître zen pour l’entendre débattre de cette question du dilemme du libre arbitre. Pendant un temps de parole dévolu, le maître en parle, propose des explications. Néanmoins, les étudiants se sentent frustrés et ont le sentiment de ne pas avoir reçu de véritable réponse à leur question. Ainsi, après la conférence, l’un des étudiants accoste le Maître zen et lui demande:
– Ce qui est vécu dans l’enfance à une incidence déterminante sur ce que va devenir une personne, n’est-ce pas ?
– Vous avez raison, répondit le Maître Zen
– Mais n’est-ce pas plutôt qu’une personne peut, indépendamment de son passé, déterminer par elle-même ce qui va advenir d’elle ?, demanda un second étudiant
– Vous avez raison, répondit le Maître Zen
– N’êtes-vous pas, Maître, en contradiction avec vous-même quand vous êtes d’accord avec chacun d’eux, bien qu’ils s’opposent l’un à l’autre ?
– Vous avez raison, répondit le Maître Zen

« On ne peut pas changer l’histoire – les événements du passé qui se sont vraiment produits. On ne peut pas effacer ce qui est arrivé ou défaire ce qu’on a fait, mais on peut – et de manière surprenante dans une très large mesure – influencer la façon dont nous percevons les événements passés et ce qu’ils signifient pour nous. Le passé n’est pas une simple chronique, un enregistrement dans un ordre chronologique de ce qui s’est passé. C’est une histoire qui est vivante et changeante au fur et à mesure qu’on la raconte, en lui donnant de nouvelles priorités, significations, explications et conséquences. »

Et à Ben Furman de conclure: « indépendamment de ce que à quoi ressemble notre passé ou la vie du moment, on a toutes les chances d’avoir un meilleur avenir. On ne peut pas déterminer son destin, tout comme on ne peut pas déterminer comment va s’écouler la rivière, mais on peut favoriser l’aménagement et rediriger le flot en préparant la terre pour des changements positifs. »

Données techniques: Ben Furman, “Il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse: de l’adversité à la résilience,” Ed. Satas / Le Germe, 109 pages