Chaque année, elle revenait, encore et encore. Toujours la même question, en apparence anodine et redoutable dans sa profondeur : « Monsieur, c’est quoi, une personne mature ? Qu’est-ce que la maturité psychologique ? » Cette simple interrogation restait là, en suspens, flottant dans l’air dense de l’amphithéâtre, portée par la curiosité sincère des étudiants. Et chaque fois, elle laissait Clare Graves, professeur de psychologie, un peu plus perplexe, un peu plus ébranlé.

Enquête de sens: sus à la question qui revient, encore et toujours

Nous sommes dans les années 1950. La psychologie avance, les théories foisonnent (Maslow, Piaget, etc.), mais aucune ne parvient à répondre véritablement à cette question ni aux autres qui hantent peu à peu l’esprit de Graves :

Pourquoi pense-t-on si différemment d’un individu à l’autre ? Pourquoi ce qui semble vrai pour l’un paraît absurde à l’autre ? Que se passe-t-il, en nous, quand notre manière de voir le monde se transforme ? Pourquoi certains s’en remettent à la tradition quand d’autres ne jurent que par le progrès ? Pourquoi la réussite, la morale, le pouvoir… prennent-ils des visages si différents d’une personne à l’autre, d’une époque à l’autre ?

Dès lors, face au manque de réponses claires de la psychologie de son temps, et parce qu’il veut ardemment comprendre et savoir, Clare Graves décide de chercher et de mener l’enquête.

Il interroge et écoute des centaines de personnes qui leur narre leurs récits de vie, leurs croyances, leurs priorités dans l’existence. Il note, il classe, il cherche des motifs, des fils rouges, des tendances. Les réponses sont différentes. Elles n’ont parfois rien à voir l’une de l’autre. Un vrai foutoir, en apparence. Pourtant, peu à peu, un dessin semble se révéler au cours de l’investigation de Graves.

Une logique discrète:  des bascules de conscience au rythme des grandes étapes de vie. Entre stabilité, routine, déséquilibre, rupture, traversé du doute, transition et renaissance intérieure

Les visions du monde changent, mais pas de manière chaotique. Elles obéissent à une certaine logique. Une structure invisible, et bien réelle. Comme si chaque individu évoluait à travers une série d’étapes ou de sauts intérieurs, façonnés par ses besoins, son environnement, son histoire. Comme si la pensée humaine suivait un chemin sinueux et ordonné. Comme si les êtres humains ne naissaient pas simplement avec une personnalité, mais avec une conscience en mouvement, qui franchit des étapes au fil du temps, au fil des défis de la vie.

Comme si chacun d’entre nous avançons, parfois sans le savoir, sur un chemin intérieur fait de paliers successifs chacun correspondant à une manière de voir le monde, de vivre avec les autres, de comprendre sa place.

Il n’y a pas de hiérarchie. Aucune étape n’est supérieure ou inférieure à une autre. Chacune prend tout son sens pour une personne, à un moment précis de sa vie, dans un contexte et un système donné. Chaque étape est juste et adaptée à la réalité qu’une personne vit. Ni en avance, ni en retard. Elle répond simplement à ce qui est nécessaire, ici et maintenant, pour celui ou celle qui la vit.

Clare Graves va passer sa vie à explorer ce phénomène. Il ne parle pas de « spirale dynamique ». Ce sont deux autres chercheurs dans les années 90, Don Beck et Christopher Cowan, qui reprendront ses travaux et leur donneront ce nom. Et pour que ce soit plus simple, ils vont colorier chaque étape : violet, rouge, bleu, orange, etc. pas pour faire joli, mais pour rendre ce système plus lisible.

En résumé: voilà la naissance de la Spirale Dynamique, une carte des grandes façons de penser et de vivre. Non pas des cases où enfermer les gens. Plutôt des niveaux de conscience, qui apparaissent quand les anciens niveaux ne suffisent plus à répondre aux défis du moment. Un peu comme si chaque étape de notre vie nous poussait à enfiler un nouveau costume pour mieux gérer la complexité. Nous nous adaptons.

Le ballet des équilibres et des déséquilibres : quelques teintes du changement en Spirale Dynamique

Vous ne changerez jamais les choses en combattant la réalité … Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modèle qui rendra obsolète le modèle existant, Richard Buckminster Fuller

Chaque étape naît d’un déséquilibre. Quand une manière de penser ne suffit plus, une nouvelle apparaît. Mais les anciennes restent là, actives et utiles, selon les moments et le contexte. Quelques couleurs de la Spirale Dynamique ci-dessous, en résumé.

• Violet : la tribu, le clan. On fait comme les anciens. C’est sacré. On protège le groupe. Valeurs : sécurité, appartenance, traditions, magie, lien au clan, respect des anciens. Mot-clé : protection
• Rouge : c’est moi le chef. J’impose ma volonté. La force prime. Valeurs : force, courage, domination, héroïsme, fierté, impulsivité, affirmation de soi. Mot-clé : pouvoir
• Bleu : il y a un ordre, des règles, une morale. Bien ou mal, ça ne se discute pas. Valeurs : discipline, devoir, vérité absolue, obéissance, morale, justice, structure. Mot-clé : ordre
• Orange : liberté, succès, individualisme. On veut briller, innover, gagner. Valeurs : ambition, mérite, performance, innovation, efficacité, compétition, liberté individuelle. Mot-clé : succès
• Vert : égalité, inclusion, émotions. Plus personne ne commande. On se relie. Valeurs : inclusion, solidarité, partage, authenticité, écoute, émotions, consensus Mot-clé : relation
• Jaune : on prend du recul. On voit que chaque étape avait son utilité. On cherche à faire du sur-mesure. Valeurs : autonomie, connaissance, adaptabilité, responsabilité, pragmatisme, vision systémique. Mot-clé : compréhension
• Turquoise : on pense global, on agit local. Tout est relié. On œuvre pour le vivant. Valeurs : globalité, coopération, conscience planétaire, intuition, sagesse, spiritualité intégrée. Mot-clé : interconnexion

La Spirale Dynamique : simple modèle théorique ou véritable outil pour agir ?

Dit autrement: la Spirale Dynamique, c’est bien joli en théorie, mais est-ce qu’on peut vraiment s’en servir dans la vraie vie ? Même si, au début, elle peut sembler théorique, la Spirale Dynamique est très utile dans notre quotidien. Par exemple.

• En management, pour comprendre les valeurs de son équipe et éviter de parler « Orange » à des gens « Bleus ».
• En accompagnement, pour adapter ses outils à la façon dont la personne voit le monde.
• En conflit, pour décoder ce qui se joue en profondeur : souvent, ce n’est pas un désaccord, mais deux visions du monde qui s’affrontent.
• Et même dans la vie personnelle, pour comprendre pourquoi on change de valeurs avec le temps, ou pourquoi on ne se sent plus aligné avec son entourage.

La Spirale Dynamique, c’est une boussole intérieure et collective. Elle ne dit pas où aller. Elle aide à comprendre où on est et pourquoi on n’est plus à l’aise dans ce qu’on croyait pourtant être « la vérité ».

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