Et si c’était notre cerveau qui était au service de notre corps ? Et si c’était notre corps qui était notre chef d’orchestre ? Et si notre cerveau était régi par notre activité physique ? Et si l’apprentissage passait par des mouvements, par le fait de bouger son corps…Rencontre avec Lucy Vincent interviewée par Marie-Laure Théodule pour le journal Le Temps, le 3 octobre 2022

« Ce qui me passionne, c’est comment le cerveau se modifie en fonction du vécu et des perceptions corporelles, » Lucy Vincent, écrivaine, neuro-biologiste et chercheur au CNRS.

Tout débute avec le corps pour la neuro-biologiste Lucy Vincent. Mais attention ! Faire bouger son corps ne signifie pas se dépasser et dépasser les autres, faire des compétitions, aller au-delà de soi-même, rechercher la performance. Non ! Faire bouger son corps, c’est avant tout porter beaucoup d’attention à ses sens: ce que nous voyons, ce que nous ressentons, ce que nous touchons, ce que nous éprouvons (émotions), etc.

Prenons l’exemple de l’apprentissage d’un mouvement. « Les informations fournies par notre système sensoriel provoquent une réponse du système moteur qui actionne le mouvement. Le cerveau calcule la différence entre le mouvement planifié, à la suite des informations transmises par le système visuel, et celui exécuté. Puis, il ajuste les instructions envoyées aux muscles afin d’améliorer le mouvement. A force d’allers-retours entre système sensoriel et moteur, ce circuit, le «couplage perception-action», développe et consolide un réseau neuronal approprié au geste visé. Une très bonne illustration en est l’apprentissage de la marche. Au début, l’enfant fait des mouvements très approximatifs: en une heure il fait plus de 2000 pas et tombe 17 fois en moyenne. Mais à force de répétition, il perfectionne ses gestes et parvient à marcher. Le circuit sensori-moteur de la marche s’est en quelque sorte inscrit dans son cerveau. » (journal Le Temps, Marie-Laure Théodule, le 3 octobre 2022)

Prenons maintenant l’apprentissage d’une compétence aussi abstraite que les mathématiques. Là aussi, elle commence par et avec le corps. C’est en utilisant ses doigts ou en manipulant des objets que nos bien-aimés mômes apprennent à compter. Et c’est après avoir intégré dans sa chair, ingéré physiquement la notion de nombre, que les enfants « parviennent à la conceptualiser dans leur cerveau. »

Afin de bénéficier d’un apprentissage optimal, Lucy Vincent plaide au journal Le Temps pour une ré-organisation des classes afin que : « les enfants puissent bouger et expérimenter, goûter le monde avec tous leurs sens, alors que dès l’âge de 6 ans ils doivent rester assis et écouter. Cela demanderait des moyens considérables mais on peut déjà nourrir le cerveau en encourageant les enfants avec de bons messages qui valorisent les progrès et leur font accepter l’échec. Par exemple, remplacer «je ne sais pas faire ce calcul» par «je ne sais pas encore le faire». »

Il est quand même surprenant que le fait de se tromper soit perçu comme humiliant par la plupart des élèves français de CM1 ou de CM2, mais que les chercheurs du monde entier y voient un acte normal, formateur, nécessaire, Charles Pépin, Les Vertus de l’échec

« En grandissant, nous avons tendance à abandonner un apprentissage si nous ne réussissons pas rapidement, » déplore Lucy Vincent. « On pense «ne pas être doué pour cela». A tort, car le couplage perception-action permet de créer de nouvelles connexions neuronales et d’apprendre tout au long de la vie. Encore faut-il le stimuler, en tentant de nouvelles expériences, en étant à l’écoute de nos sensations corporelles, ce que la vie moderne ne favorise pas. La plupart d’entre nous travaillons à l’intérieur. Nous sommes privés de la lumière extérieure et des stimuli qui nourrissent l’insula* d’images, d’odeurs et de sons. Plus on se rapproche de la nature, plus on stimule nos sens. Mais la vie actuelle n’en tient pas compte: bureaux aseptisés, jardins artificiels, carrières monotones, alimentation transformée… »

C’est en se trompant qu’on apprend. L’erreur est humaine, persévérer [dans son erreur] est diabolique

Trouvez une activité physique qui mobilise votre corps, et accrochez-vous. Acceptez de ne pas encore savoir le faire, persévérez, soyez à l’écoute de votre corps. Dansez, méditez, faites du Tai Chi, de la capoeira, etc.

« On sait aujourd’hui que danser stimule extraordinairement la mémoire », Lucy Vincent, Madame Figaro

Source principale de ce billet de blog, Lucy Vincent: «Notre corps construit notre cerveau», Le Temps, 3 octobre 2022

*Insula: véritable carrefour de traitement de l’information entre le corps et le cortex, l’Insula est une petite structure en forme de pyramide inversée située dans chaque hémisphère au milieu du cerveau. L’Insula représente environ 2 % de la surface corticale totale.